dimanche 27 janvier 2013

Procès des Mésanges-Plaidoyer de Jan Fermon et Bernard Pinchard

Les victimes ne veulent pas être considérés comme une « population à problèmes »

Suite du procès de l’incendie de la tour des Mésanges, qui a causé la mort de sept personnes en 2003.

Mercredi 9 janvier : dans leur plaidoirie, Jan Fermon et Bernard Pinchard, deux des avocats des victimes de incendie, citent différents rapports d’expertise. Celui de 2003 constate qu’aucune porte coupe-feu n’était installée et que les gaines techniques ne disposaient d’aucune protection coupe-feu, ni horizontale ni verticale. Or, les gaines techniques disposées de part et d’autre du hall commun ont joué un rôle essentiel dans la propagation de l’incendie. Une détection incendie avait été installée en 1979 mais avait été démontée le 28 novembre 2002 par la société DALKIA et, dès lors, au moment de l’incendie, aucune transmission alarme n’était possible.

Les prévenus ont affirmé ou pour tout le moins insinué qu’ils ne disposaient pas des éléments d’appréciation nécessaires pour se rendre compte de la dangerosité de la situation aux Mésanges en ce qui concerne la sécurité incendie. Ignorance contredite par des éléments du dossier et dénuée de crédibilité.

Pour Jan Fermon, deux facteurs sont responsables de l’ampleur du drame : l’absence d’un système d’alarme et l’absence des portes coupe-feu. Il insiste : il ne faut pas avoir étudié, ni être architecte ou ingénieur, pour savoir qu’une alarme peut sauver des vies. C’est une simple question de bon sens. Béatrice Delhaye ne serait pas restée enfermée durant des heures avec ses enfants dans une petite chambre surchauffée, enfumée et dans le noir, si l’alarme avait fonctionné.

De nombreux témoignages mettent en évidence les problèmes liés à l’absence de toute alarme incendie…

M. Zdanov n’a pas seulement donné l’ordre de retirer la centrale d’alarme mais a en outre outrepassé les avertissements de son directeur technique sur l’urgence de remplacement du tableau. Il s’agit-là indiscutablement d’une attitude fautive de la part de M. Zdanov mettant en péril la vie et l’intégrité physique de l’ensemble des habitants.

Les deux avocats, Jan Fermon et Bernard Pinchart, relèvent encore que le premier prévenu était également bourgmestre de Mons pendant des décennies et recevait également en cette qualité tous les rapports des pompiers.

S’adressant alors à Mr Lafosse, Jan Fermon pose la question : admettons que vous n’étiez pas au courant des rapports d’experts incendie. Mais quand des locataires vous interpellent et demandent une réparation de l’alarme « parce que leur vie est importante », vous auriez pu réagir en disant « peut-être faudrait-il organiser un exercice incendie » ? Jamais un exercice incendie n’a été réalisé.

Le coût de la sécurité

Quant au rapport de Mr Hendoux de 2007, ses conclusions permettent d’écarter l’argumentation des prévenus qui tentent de se dédouaner de tout reproche en invoquant le coût des travaux de sécurisation de l’immeuble des « Mésanges ».

Il aurait fallu remplacer 72 portes et impostes. Pour l’ensemble des 72 portes résistantes au feu, la dépense à l’époque aurait été de 21.060 FB x 72 = 1.516.320 FB soit actuellement 37588,63 Euros. A côté de cela, pour un coût de 51.840 FB, le cloisonnement horizontal des gaines techniques aurait pu être réalisé.

Il faut souligner que chaque porte aurait permis une résistance au feu d’1 heure.

Mais dans l’ensemble des PV du Conseil d’Administration de la Sorelobo, nous ne trouvons aucune trace d’une discussion posant la question : ‘comment allons-nous faire pour débloquer 40.000 € pour les portes coupe-feu’. Avec ce minimum, vous auriez pu dire : « chaque année on a réalisé quelque chose pour la sécurité. Même si c’est loin de tout résoudre, au moins un peu à la fois, on a essayé de résoudre le problème ». Mais ici, RIEN sur 20 ans.

Pourtant, Mr Lafosse était un homme en vue, avec une certaine influence, gérant une ville importante. Mais personne ne se souvient d’une insistance de sa part : « j’ai une situation dangereuse, il faut débloquer des moyens ». Non, aucune demande de subsides.

Par contre, à l’époque on envisageait la construction d’un nouveau siège de la Sorelobo, 60 millions d’€. Même si ça n’a pas été fait, cela montre les choix qu’on posait !

Enfin, les parties civiles ne contestent pas que la Sorelobo connaissait des difficultés financières importantes mais il ressort des éléments du dossier que ceux-ci ne la rendaient pas incapable de débourser 51.000 FB pour réaliser des cloisons verticales dans les gaines techniques, par exemple.

Maître Jan Fermon s'arrête quelques instants, puis reprend :

« Madame la Présidente,

Je vous demande de regarder la plainte que nous avons rédigée avec les locataires sur un après-midi, dans une assemblée des familles des victimes, houleuse et difficile, avec des personnes perturbées avec ce qui venait de leur arriver. Nous avons fait une liste de tout ce qui n’allait pas au niveau de la sécurité. C’étaient des ouvriers, des femmes de ménage, des étudiants qui ont signalé ces points. Eh bien cette liste correspond entièrement aux rapports des experts ! Alors, Messieurs Lafosse et Zdanov ne savaient pas, durant 20 ans ? »


Le vandalisme

Depuis la catastrophe des Mésanges, les victimes ont été continuellement confrontées à des insinuations selon lesquelles la responsabilité pour leur dommage résiderait dans un vandalisme récurrent sur le site.

(oubien plus simple : Depuis la catastrophe, les victimes ont été sans arrêt confrontés à des insinuations selon lesquelles cet incendie était en fait de leur faute, à cause du vandalisme continuel sur le site)

Pas seulement par certains articles de presse, mais aussi par les autorités locales à la réunion d’information tenue immédiatement après le drame. La référence au vandalisme est actuellement un élément essentiel du système de défense des accusés.

L’insistance sur cette question de vandalisme est d’autant plus étonnante que la cause essentielle de l’extension rapide du feu, l’absence totale de cloisonnement, n’a bien évidemment aucun lien avec un quelconque acte de vandalisme.

Mais ce qui est grave, c’est que cette référence au vandalisme ou à une « population problématique » est tout à fait logiquement comprise par les parties civiles comme une généralisation insultante à leur égard.

Un exemple : quand les parlophones ne fonctionnaient pas, imaginez-vous l’inconfort. Soit il fallait descendre 10 étages pour voir qui a sonné, soit il fallait prendre le risque d’ouvrir. Bien souvent, la solution a été que les services techniques avaient la consigne de retirer la serrure, et l’affaire était réglée. Résultat : n’importe qui pouvait rentrer dans l’immeuble. Signalons au passage qu’un concierge aurait pu tenir un oeil. Un incendiaire volontaire pouvait donc rentrer et faire ce qu’il voulait. Les locataires que nous représentons étaient les premières victimes de cette situation, pas les coupables !

Certes, nous ne nions pas qu’il y a vandalisme, mais il est instrumentalisé pour cacher les responsabilités.

Aucun élément n’est produit par les prévenus démontrant qu’ils auraient pris des décisions ni même planifié des mesures de préventions techniques tel que le placement autour de la centrale d’armoires de protection, d’un parlophone renforcé, d’une serrure ou d’une porte renforcée, etc.

En plus, vu l’état de délabrement, que ce soit par des actes de dégradation ou par l’usure, il est clair que l’entretien était totalement défaillant. Dans ces conditions, ? (pas du bon français : les prévenus sont mal venus pour tenter de rejeter la responsabilité de la catastrophe sur « une population à risque », responsable de vandalisme.

En définitive, il y a lieu de constater que le premier prévenu était alors bourgmestre de la Ville de Mons. Il avait donc d’autres moyens à sa disposition pour lutter contre les dégradations. Aucune mesure particulière de police en ce sens n’est par ailleurs évoquée par la défense.

Conclusion générale :

Il ressort du dossier répressif et de l’instruction d’audience et de ce qui précède, que la gestion de la Sorelobo par le premier prévenu, et dans laquelle le deuxième prévenu était un maillon essentiel, a été caractérisée par une négligence systématique de la sécurité des habitants des logements sociaux et d’un mépris récurrent pour ceux-ci, considérés comme « une population à risque et à problèmes » qui pouvait déjà être reconnaissante d’avoir un toit au-dessus de la tête.

Ce mépris ne s’est pas seulement exprimé dans la négligence grave de la sécurité et du bien-être des locataires, mais également dans une attitude hautaine et de silence méprisant, rapporté par les acteurs sociaux sur le terrain, qui se posent la question de savoir pourquoi la Sorelobo n’écoute JAMAIS.

Il est sans doute exact que la gestion de la Sorelobo sur ce point n’a guère été différente de la gestion de la plupart des sociétés de logements sociaux en Région wallonne, souvent considérées comme des instruments pour organiser une politique clientéliste, et dont certains gestionnaires se considéraient comme les propriétaires privés plutôt que comme des mandataires publiques élus et rémunérés par la collectivité pour veiller aux intérêts de cette même collectivité.

Cela n’enlève néanmoins rien à la responsabilité pénale et civile des personnes responsables de cette gestion.







Procès des Mésanges-Témoignages des victimes


Incendie des Mésanges : témoignages des victimes

Robert Longlez

« J'étais au 12e étage, j'y habitais depuis 6 ans. Ma femme était enceinte de 9 semaines. Je me suis réveillé vers 1h. Quand j'ai ouvert la porte, la porte s'est claquée sur moi par la pression de la fumée. Je suis allé chercher ma femme. Mais il n'a pas fallu 3 minutes pour que le living et le couloir soient rempli de fumée. J'ai téléphoné aux pompiers. Ma femme est retournée dans la chambre pour avoir de l'air. Les pompiers étaient débordés, ils me disaient de mettre des torchons mouillés au bas de la porte d'entrée. Dans le couloir de mon appartement, je suis tombé dans les pommes deux fois. Finalement j'ai réussi à sortir par les escaliers de secours. Je voulais aller chercher des pompiers pour sauver ma femme. En descendant, j'ai frappé aux carreaux des autres locataires, j'ai même dû aider une femme algérienne à sortir avec son bébé.      
Arrivé en bas, j'ai appris que ma femme était tombée ou s'était jetée par la fenêtre à l'arrière du bâtiment....      
Aujourd'hui je souffre de migraines post-traumatiques. »
Son avocat, Jan Fermon, expliquera au juge : « Robert n'a rien à se reprocher. Sa femme avait décidé de retourner dans sa chambre. Robert est tombé évanoui deux fois. Encore somnolent, il a réussi à atteindre les escaliers de secours. Des voisins l'ont vu courir sur le toit pour trouver des pompiers pour pouvoir sauver sa femme. Il a vécu un double traumatisme. Il a perdu son épouse et un futur petit enfant, mais il vit aussi avec le sentiment de ne pas avoir pu la sauver. Une fois dehors, il était encore en sous-vêtements, il faisait moins deux degrés dehors. Il s'est couché à côté de Laetitia, sa femme, c'était le seul geste qu'il pouvait encore faire.      
Par la suite, il a vécu la descente aux enfers, des sentiments de culpabilité, le désespoir, la dépression, la toxicomanie. La descente aux enfers sur le plan administratif aussi. Il n'est plus en ordre pour certains papiers, et n'a plus droit au CPAS. Il se retrouvera à un point où il n'a plus rien.      
Aujourd'hui, il s'en sort. Je suis content. Car sans aide, il s'en est sorti petit à petit. Il a du travail maintenant, mais il a dû sortir du puits le plus profond qu'on peut s'imaginer ! »

 

 

Caty Dujardin

« J'habitais au 10e étage. J'étais dans mon bain quand j'ai entendu du bruit. Je pensais que c'était ma fille ainée qui rentrait. Mais de la fumée rentrait dans le living. Quand j'ai voulu ouvrir la porte d'entrée, j'ai été repoussée par la pression des fumées. Les extincteurs étaient vides. La Sorelobo avait décidé de ne pas remplacer les extincteurs tant qu'on n'avait pas dénoncé le coupable des dégradations. Je suis partie dans ma chambre chercher une veste, et j'ai téléphoné à mon père. Le temps que je revienne, je n'avais déjà plus accès au hall d'entrée, alors que je devais passer par là pour aller à la chambre qui donne accès aux escaliers de secours. Mais la fumée était trop épaisse et suffocante. J'ai dû m'enfuir à la cuisine, je respirais par la fenêtre. Mais les flammes sont arrivées là aussi de l'extérieur. Je voyais au sixième étage Pierre et sa maman tomber de leur fenêtre. Je me suis alors couchée par terre et je respirais dans ma chemise. Je me sentais partir. Je chantais pour ne pas m'endormir. Tout ce temps-là je suis restée au gsm avec mon père, j'ai fini par lui faire mes adieux... et après ça je n'avais plus de batterie.
J'ai essayé de retourner à ma salle de bains, à chaque respiration ça faisait mal au thorax. Finalement les pompiers m'ont retrouvée évanouie à côté de mon lit avec la couette sur mon visage.      
Aujourd'hui, je paie encore. Parce que les frais s'étaient accumulés. Comme plein d'autres locataires je n'avais pas d'assurance incendie, nous devions donc remplacer les meubles à nos frais. Et puis les consultations chez le psychiatre, etc.      
J'ai les images de l'incendie qui me reviennent souvent encore, je suis encore des thérapies, la mutuelle m'a reconnue invalide jusqu'à ma pension. La nuit, je dors très peu, mon cerveau est toujours en alerte. Il me faut toujours une présence ou le bruit d'une TV. »

 

Mme Lengema

Madame Lengema et son mari, Monsieur Yengo, avec leurs 4 enfants, avaient pu quitter les lieux dans des conditions un peu plus « acceptables », via les escaliers de secours. L'électricité a été coupée alors qu'ils venaient juste de descendre. Ils entendent alors les gens crier dans le noir.« Mon mari et moi ont pu surmonter ce que nous avons vu et vécu, nous avons pu vivre avec. » Ils avaient aussi la chance d'avoir une assurance incendie et ont été dédommagés.      
Mais Madame Lengema tient à dire quelque chose : « J'ai vécu aux Mésanges durant 5, 6 ans. Je ne me retrouve pas dans la description qu'on en fait constamment : les cas sociaux des mésanges”. Durant toute cette période, je n'ai jamais connu là des “turbulences”. »      
« Nous avons vécu le drame cette nuit-là nous-mêmes, c'était un premier traumatisme, pour nous et nos enfants. Par la suite et le lendemain, nos voisins nous racontent ce qui leur est arrivé, ça a remis une deuxième couche. Imaginez-vous qu'un ami nous explique qu'il a dû laisser tomber son bébé d'une hauteur de 2 mètres pour qu'un pompier l'attrape ! Parce que l'escalier des pompiers n'arrivait pas assez haut pour atteindre son appartement. Des histoires comme ça, ça ronge. Je ne sentais plus mes genoux !      
Puis nous vivons une couche supplémentaire : les médias qui parlent d'un immeuble à cas sociaux, un immeuble de turbulents. Le soir, oui, il y avait parfois un peu de bruit par les jeunes, qui n'étaient pas nécessairement de notre immeuble. Il y avait toute une vie de quartier. Mais nous n'avons jamais eu le feu devant notre appartement, jamais eu des ennuis avec personne.      
De toute façon, même si ça avait été le cas, ça ne change rien à l'obligation des dirigeants de la Sorelobo d'assurer la sécurité des locataires, ou en cas de vandalisme de trouver des solutions. C'était une mission de service public. Qu'ils ne l'aient pas fait est tout simplement irresponsable. »

 

Pascal Lebrun

Pascal Lebrun témoigne devant le tribunal. Ses parents sont décédés dans l'incendie, lui-même habitait ailleurs. Ce jour-là il a dû attendre 17h avant d'apprendre que ses parents étaient bien parmi les victimes décédées.
Depuis 11 ans, Pascal travaille dans un service technique pour une société de logement social à Charleroi. Il constate que, quand des protections incendie sont à remplacer, cela se fait en priorité. Que ce soient les dévidoirs, les extincteurs ou les détecteurs d'incendie.
Pascal demande à la présidente s'il peut encore dire quelque chose : « J'ai vécu aux Mésanges de mes 3 ans à mes 24 ans, je n'ai jamais remarqué une criminalité importante qui aurait justifié un abandon de la sécurité des bâtiments ! »
 
 

samedi 19 janvier 2013

Incendie des Mésanges :« La problématique sécuritaire était connue »

Le procès continue dans l’affaire de l’incendie des Mésanges, une tour de logements sociaux, qui a causé la mort de 7 personnes en 2003. Les prochaines audiences se dérouleront
les 6 et 18 février 2013, à 9h au Palais de Justice, Rue de Nimy 35 à Mons.
 
 
Thérèse Michels
 
L’audience du 7 janvier a donné lieu à un réquisitoire implacable de Marie-Christine Beauvois, premier substitut, à charge de Maurice Lafosse, ex-président de la Sorelobo et ancien bourgmestre de Mons, et de Victor Zdanov, ex-directeur-gérant. Sur base des rapports des pompiers et des experts (voir Solidaire n°01-02 du 10 janvier 2013), Marie-Christine Beauvois accuse : « La problématique sécuritaire était parfaitement connue. MM Lafosse et Zdanov ont fait preuve de passivité. En plus, il y a eu lacune dans un devoir général de prudence. La sécurité incendie était la priorité absolue. Leur attitude était scandaleusement irresponsable ».
Le Procureur du Roi, Christian Henry, a ensuite démontré que la Sorelobo a, pendant plus de 20 ans, agi dans l'illégalité. Depuis le début des auditions, M. Lafosse et V. Zdanov affirment en effet que les normes incendie n'étaient pas obligatoires pour les bâtiments construits avant 1972 (l’immeuble des Mésanges date de 1969). « Or j'ai en ma possession l'arrêté du 4 avril 1972 fixant les normes incendies. Cet arrêté s'appliquait bien à l'ensemble des bâtiments élevés, même anciens. La Sorelobo savait donc très bien que cette norme s'appliquait à l’immeuble des Mésanges, car elle a elle-même décidé de placer des escaliers de secours externes en 1975 ».
Bien évidemment, ce n'est pas la Sorelobo qui a bouté le feu, mais les prévenus n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour éviter la propagation du feu, au mépris de leurs obligations. Selon le procureur du Roi, les prévenus doivent donc être reconnus coupables d'homicide involontaire par défaut de prévoyance.
Par ailleurs, pour la première fois depuis le début de la procédure, les victimes ont reçu des excuses du Procureur du Roi pour le délai beaucoup trop long qu'a pris l'appareil judiciaire dans cette affaire.

mardi 8 janvier 2013

Procès des Mésanges-suite...

Après deux semaines d'interruptions le procès a repris ce lundi 07/01/2013. Les prochaines séances se dérouleront le mercredi 9 janvier 2013, le vendredi 11 janvier 2013, le lundi 14 janvier 2013 et le lundi 21 janvier 2013.
Toutes les séances débutent à 9 heures. Venez soutenir les victimes!


Incendie tour des Mésanges

Récit accablant des pompiers

Thérèse Michels

L’incendie de l’immeuble social « Les mésanges », qui causa la mort de sept personnes, le 20 février 2003, a fait l’objet de trois premières audiences devant le tribunal correctionnel de Mons, durant toute la semaine du 17 décembre. 49 victimes se sont portées parties civiles. Trois prévenus sont poursuivis pour homicides par défaut de prévoyance ou de précaution : Maurice Lafosse, alors président de la Société régionale de logements sociaux de Mons-Borinage (Sorelobo), Victor Zdanov, son directeur, et la société « Toit et moi » (l’ex-Sorelobo).

Ce jour-là, une main criminelle avait bouté le feu à la porte d’entrée d’un appartement du 2e étage. Aucun dispositif n’avait freiné la propagation de l’incendie qui avait rapidement gagné le 12e étage.

Albert Mahieu, pompier, témoigne : « arrivé sur place, on voyait les flammes au deuxième étage, mais deux personnes âgées étaient toujours là. Comme l'alarme ne fonctionnait pas, elles étaient restées à l'intérieur. Et par après, dans les couloirs il y avait plein de fumée, impossible de passer sans masque. Il n'était possible de sortir que par l'escalier de secours ». Mais il n'avait servi à rien. « Pourquoi », interroge Marie-Julie Deutsch, présidente. Cet escalier était accessible depuis chaque appartement, via une fenêtre de chambre à 1,3 mètre de hauteur. Et pour atteindre cette chambre, les résidents devaient traverser leur hall d’entrée… totalement enfumé puisque les portes des appartements s’étaient embrasées. De plus, il fallait enjamber un radiateur et escalader une bordure !

Heureusement, Albert Mahieu est arrivé juste à temps pour sortir les deux vieilles personnes.

Mais pendant que les pompiers éteignaient le feu à cet appartement, la fumée et les flammes se sont propagées à travers les couloirs et par les cages avec les gaines techniques, qui montaient jusqu'au douzième. Or, comme le rappellera Me Pinchart, un des sept avocats des victimes : « aucune protection de la gaine technique n’avait été effectuée. » C’est cette gaine qui, au même titre que la cage d’escalier intérieure, servit de voie royale au feu et aux fumées. Pierre Genard, membre du collège d’experts désigné durant l’instruction, dénonce : « Absence de portes coupe-feu, tant à la cage d’escaliers qu’aux entrées des appartements et aux parois des gaines techniques. Absence d’étanchéité horizontale, à tous les niveaux, pour ces gaines techniques. En toiture, les coupoles qui auraient dû servir d’exutoires aux fumées sous pression, étaient bloquées. »

C'est ainsi que les fumées, accumulées dans la partie haute, ont provoqué des températures de plus de 1000°. Et c'est ainsi que des personnes au douzième se sont jetées dans le vide ... D'autres ont été retrouvées mortes à l'intérieur.

Vient alors le témoignage du commandant pompier Yannick Vanderdonkt qui avait sauvé au dixième étage Béatrice Delhaye et ses quatre enfants. Moment très difficile pour Béatrice, présente dans la salle. (Voir son témoignage en bas de page)

En cause : la gestion financière de la SORELOBO....

Après l'incendie, Michel Bovy, commissaire de police, avait été chargé d'établir un éventuel lien entre l'ampleur du sinistre et la gestion financière de la Sorelobo. Michel Bovy insiste sur le rapport du commandant Pee des pompiers de Mons. « Dès 1969, il a dressé un document prémonitoire, terrifiant, décrivant le risque énorme que représentait l’immeuble des “Mésanges”, dès sa construction. Et les réunions du comité consultatif des locataires n’y ont rien changé. Au comité de gérance, la protection incendie passait au second plan, après les finances (fragiles) et les économies d’énergie ». « Dans les archives j'ai constaté peu de traces de rapports de pompiers. Les pompiers n'ont jamais fait d'inspection générale et pourtant, ils ont souvent tendu la main à la Sorelobo ».

Jan Fermon, porte-parole des avocats des victimes : « L'expert en incendie Mr Génard a expliqué que certaines interventions très simples auraient pu résoudre les problèmes de sécurité. Comme la protection des gaines techniques par du personnel maison. Les montants n'étaient pas exorbitants et malgré le fait que cela aurait pu sauver des vies, rien n'a été fait ».

... et la politique du logement social !

Mr Alain Rosenoer, directeur-général de la SWL (Société Wallonne du Logement) : «  Lorsque des investissements doivent être faits, les sociétés de logement doivent faire des propositions qui sont examinées par la SWL. Celle-ci doit soumettre ses propositions au gouvernement wallon qui donne son feu vert ou non ».

La présidente M.J. Deutsch : « la SWL n'est donc qu'un organe de transmission ? Et concernant la sécurité, n'est-ce pas une priorité de la SWL ? Ou bien, ce n'est pas vous qui décidez ? »

Alain Rosenoer : « il faut revenir en arrière. Dans les années 60 – 70 il y a eu des vastes programmes de construction. 20.000 logements publics étaient construits chaque année. Aujourd'hui encore 4 à 500 par an alors qu'il y a une grave crise de logement. Nous ne suivons même pas le rythme des démolitions.

Les grands ensembles qui ont été construits à cette époque montrent tous des problèmes, et sont de la plus mauvaise qualité. L'on a aussi construit n'importe où; là où le terrain était le moins cher. La seule époque où l'on a cherché à concevoir des logements publics de qualité, est la période après-guerre des années '20. Ces logements sont d'ailleurs encore prisés aujourd'hui.

A la fin des années 80, la Sorelobo a été obligée de suivre un plan d'assainissement. Elle connaissait le taux d'occupation le plus faible de toute la Wallonie. A cette époque, une étude au sein de la SWL montrait que la remise en état du parc public du point de vue sécurité et décence, aurait coûté 1 milliard de FB.

Alain Rosenoer : « Mais il y a eu la crise des années '80, les pouvoirs publics ont désinvesti et ont commencé à soutenir plutôt des investissements dans le logement privé. Peu de moyens étaient encore consacrés au logement social, uniquement le minimum nécessaire pour l'entretien. Dans les années '90, la qualité du logement public devenait indécente. Les statistiques de 1945 à 1980 montrent que la qualité du parc des logements publics était meilleure que celle du parc privé. Mais par la suite la tendance s'est inversée.

L'on a connu la régionalisation des compétences, qui s'est installée de façon très lente. Et la qualité des logements publics n'a plus jamais été la même que du temps des sociétés nationales. Les bâtiments de la SORELOBO sont devenus très rapidement obsolètes, Aujourd'hui on essaye de se battre pour une meilleure qualité d'investissements. En termes de sécurité, les normes ont aussi changées, une nouvelle loi est sortie en '94. Avec l'incendie des Mésanges, la Région wallonne a pris une claque. Le coût d'une mise au normes de l'ensemble du parc des logements sociaux (....)

Michel Quivy, inspecteur technique de la SWL pour la section Mons-Borinage : « Nous n'avons jamais refusé une avance pour des investissements de sécurité. C'est vrai que les moyens financiers étaient plus que parcimonieux. J'avais la tutelle de la Sorelobo. Avec l'enveloppe qu'on avait, on ne pouvait que maintenir à flot, et assurer une pérennité des bâtiments, l'entretien des toitures, l'électricité, les châssis.

La présidente M.J. Deutsch : « Les problèmes de sécurité étaient-ils une préoccupation ? »

Michel Quivy : « je n'ai reçu que des demandes de maintien des bâtiments. Mais dans l'ensemble de la région wallonne il y avait peu de travaux pour la sécurité incendie ».

La présidente M.J. Deutsch : l'on a parlé d'un coût de 400.000 € pour la sécurité incendie des Mésanges, une telle demande aurait-elle posé problème ?

Le directeur A. Rosenoer : La Région Wallonne n'aurait fait aucune difficulté.

Le procureur du Roi Christian Henry : « Il y a eu des demandes d'investissements en 1997 et 2000 pour un montant de 200 millions. Et cela sans aucune demande pour la sécurité ? »

Michel Quivy confirme.

Maître Jan Fermon insiste : « Une évaluation avait été faite :1,5 millions de FB (40.000 €) pour 72 portes coupe-feu et pour compartimenter les gaines à chaque étage. Était-il raisonnable d'obtenir cela en même temps que les escaliers de secours aux tours de Ghlin ? »

Le Directeur : « cela n'aurait posé aucun problème ».

Le procureur du Roi conclut par une synthèse : « La SWL et avant elle, la SNL n'a pas de pouvoir. Le vrai pouvoir est dans les mains des sociétés des logements sociaux subsidiées. La SWL n'avait qu'un pouvoir de conseil. »

Le Directeur Rosenoer précise : « en 2001 (deux ans avant le drame), les pouvoirs sont passés des sociétés de logements sociaux aux communes ». La Ville de Mons avait donc une responsabilité.



Béatrice Delhaye : « je vis toujours un calvaire. Ma seule fierté, c'est mon fils qui fait des études de pompier »

« Aux alentours de minuit et demi, je me suis levé pour mon fils Dylan qui avait une grippe intestinale et je devais le laver à la salle de bain. Je sentais bien une fumée, mais je pensais que c'était une boule puante, comme ça arrive encore parfois. Je devais aller chercher un pyjama pour mon petit, mais il y avait déjà des flammes dans mon salon, ma porte s'était effondrée. Je ne savais plus atteindre ma chambre. J'ai amené mes enfants dans la chambre de ma fille, trois enfants et un bébé de 1 mois et demi. Il y avait 1.600° dans l'appartement selon les pompiers. Nous sommes restées plusieurs heures ainsi dans cette chambre, j'aspergeais de l'eau sur mes enfants pour supporter la chaleur. J'ai ainsi vidé 4 bouteilles d'eau, c'est ce qui les a sauvés. J'étais morte d'angoisse, tout bougeait, je pensais que la tour allait s'effondrer comme celle du 11 septembre. Vers 5 h du matin, un pompier est venu nous sortir de là par l'escalier de secours.

Mais nous étions tous intoxiqués. On m'a amenée à l'hôpital de Soignies. Je ne savais pas où étaient mes enfants. Par la suite, nous avons pu être hospitalisés dans une même chambre de la maternité. Dylan avait 7 ans, il voulait se tuer. Il nous voyait souffrir. Il a dû rester hospitalisé à l'hôpital psychiatrique durant 3 mois et demi ! A mes frais. Aujourd'hui il a remonté la pente, il fait des études de pompier, c'est une grande fierté pour moi. Mon plus petit Brandon a dû être soigné durant 3 ans avec de la cortisone pour son poumon.

Une fois sortie de l'hôpital j'ai vécu un vrai calvaire, personne n'a voulu m'aider. J'ai eu 7.200 € de frais d'hôpital à ma charge. Le CPAS n'a pas voulu m'aider parce que je payais pas mes loyers. Deux ans après l'incendie j'ai voulu me tirer une balle et aussi sur mes enfants. Les journalistes de Télé MB m'en ont empêché de justesse.

Aujourd'hui encore j'ai des frais à payer. Heureusement j'ai mes enfants qui m'ont dit : maman merci de nous avoir sauvés, et j'ai mon fils dont je suis fière. Mais j'aimerais tant leur payer une chambre à coucher !

J'apprécie la juge Madame Deutsch, on voit qu'elle ne lâchera pas le morceau. C'est important parce que c'est nous qui payons pour des irresponsables ! J'en suis encore malade aujourd'hui, le procès me fait beaucoup de mal, mes enfants le savent. »